“ My Identity . ▬ Nom : de Vries ▬ Prénom : Damian ▬ Âge : 28 ans ▬ Est : Domestique ▬ Sexualité : Hétérosexuel ▬ Nationalité : Hollandais ▬ Aime : Les grandes villes ; les inventions modernes ; la rigueur ; les ouvrages scientifiques ; son travail de domestique ; la musique ; ses aquarelles ... et les tulipes ▬ Déteste : Parler néerlandais dans un pays étranger ; les espaces clos ; les anarchistes ; le désordre et l'irrationalité en général ; qu'on le prenne pour un Allemand ; que l'on se moque de ses tulipes

20 lignes minimum

Malgré son goût affiché pour la discrétion, Damian ne peut s'empêcher de se faire repérer du fait de sa grande taille. Il mesure en effet un mètre quatre-vingt-treize, mèches rebelles non comprises – la même taille qu'Abraham Lincoln, pour les amateurs de faits inutiles. C'est vrai, on prête aux Hollandais la réputation d'être de grande taille, mais il y a des limites... Loin cependant de lui donner des allures de colosse, la taille de Damian ne fait qu'accentuer sa fragilité apparente. La nature l'a en effet doté d'une constitution assez faible, et son corps tout en longueur semble cassant comme du bois sec. Le corollaire à cela est que sa silhouette assez particulière est très difficile à habiller correctement. L'une des premières actions de Sarah Sambre après qu'elle eut pris Damian à son service fut d'ailleurs de lui faire tailler une dizaine de costumes sur mesure ; jusque-là, le domestique a toujours réussi à tous les garder dans un état presque impeccable. Bien sûr, il y a eu des accrocs et autres désagréments : il y en a toujours, après tout. Mais ce serait bien le diable si un fils de tailleur comme Damian n'était pas capable de réparer discrètement ce genre de choses... même si ses longs doigts blancs sont parfois engourdis par des problèmes circulatoires, il est assez habile de ses mains, et la couture n'est jamais que l'un des menus travaux que son métier l'amène à exercer – pas avec autant de classe qu'un majordome anglais, certes, mais enfin il se débrouille.
Quoi qu'il en soit, on peut dire que l'investissement de Mademoiselle Sambre ne fut pas vain : qu'il le veuille ou non – et il penche plutôt du côté du "non", mais comment pourrait-il se résoudre à s'habiller autrement ? –, Damian rivalise avec Monsieur Bernard en termes d'élégance vestimentaire. Cela dit, un observateur extérieur a peu de chances de confondre leurs rôles respectifs. Damian dépasse peut-être Bernard d'une tête, mais ce dernier a pour lui les manières naturellement hautaines d'un homme de la petite noblesse ; qui plus est, son visage long et étroit, ses cheveux rouge sombre et ses iris dissymétriques – l'un noir, l'autre couleur de sang – attirent finalement bien plus l'attention que le visage de Damian, qui est beau à sa façon mais sans avoir pour autant des traits aussi caractéristiques. Il a le front et les pommettes hautes, ce qui lui donne paraît-il un air intelligent ; un air que viennent accentuer les lunettes rectangulaires qu'il n'enlève que pour dormir. Sans elles en effet, son hypermétropie latente le condamnerait à ne bien voir que ce qui est à au moins trois ou quatre mètres de lui. Il est pourtant difficile de croire que les grands yeux bleus – mais à qui la lumière peut donner toutes sortes de teintes – que ces lunettes sont là pour corriger sont trop petits pour lui permettre de voir correctement... Restent enfin les cheveux. Dans la mesure du possible, Damian tente de les rabattre vers l'arrière, pour dégager son front et éviter de les voir traîner dans son champ de vision... mais il peut faire tous les efforts du monde pour imposer à sa tignasse la même discipline qu' à son esprit, il demeure toujours au moins une mèche brune rebelle qui va rebiquer dans tous les sens, irréductible et insensible à la domination du peigne. Cela fait déjà quelques années que Damian a jeté l'éponge, et il laisse maintenant cette mèche vivre sa vie, sans cesser cependant de faire de son mieux pour dompter les autres.
Où qu'il aille et quoi qu'il parte faire, le Hollandais conserve toujours les objets suivants dans ses poches : un peigne, un chiffon pour essuyer ses lunettes – qu'il a d'ailleurs une fâcheuse tendance à rajuster toutes les cinq minutes –, ainsi qu'un petit carnet noir et un morceau de mine de plomb, soi-disant pour noter toutes les choses que Monsieur Bernard souhaite qu'il lui rappelle – mais en fait, dès qu'il a un instant de libre, il s'en sert comme d'un carnet de croquis...

Damian de Vries est un Hollandais protestant jusqu'à la moelle, si rigoureux et austère en fait qu'il y aurait de quoi le prendre pour un Allemand du nord – ce qu'il n'apprécie guère, moins d'ailleurs par fierté nationale qu'à cause d'un vieux réflexe antigermaniste primaire – s'il n'avait un patronyme typiquement néerlandais. Il mène une vie quasi-monacale, rigoureusement ordonnée, rythmée par les ordres de Monsieur Bernard, et reste rigoureux et méthodique jusque dans ses quelques loisirs. S'il ne s'interdit pas les récompenses matérielles, il est très économe, persévérant, dur à la tâche, mais aussi assez critique de ce qui l'entoure, rationnel, au fond si imprégné de sa religion qu'il a la liberté de s'en détacher. Ne lui parlez cependant pas de socialisme ou de toutes ces doctrines qui poussent comme du chiendent partout en Europe ; sa culture politique n'est pas grande et son argumentaire très lacunaire, mais il est prêt à monter au créneau pour expliquer pourquoi accorder davantage de libertés et d'égalité aux masses est à peu près la pire chose à faire pour un dirigeant raisonnable. C'est d'ailleurs l'un des rares sujets sur lesquels il peut se montrer prolixe – sans pour autant perdre son calme le moins du monde. Généralement assez taciturne, s'exprimant lorsqu'il consent enfin à parler dans un anglais fortement accentué, il s'efforce en effet la plupart du temps de n'être qu'un élément du décor, même si sa grande taille lui complique la tâche ; et quand il parle, c'est en général avec beaucoup de formalité. Son mutisme ordinaire est en partie aussi dû au fait qu'il met un point d'honneur à ne parler que la langue du pays où il se trouve – ou le français lorsqu'il discute avec son jeune maître –, même si dans ses rares moments d'emportement il lui arrive de laisser échapper des jurons tout droit sortis de la vase du Rhin. Mais encore une fois, on ne peut que souligner la rareté de ces éclats de colère. Damian n'est pas comme son grand-père, le déserteur de la dernière Grande Armée qui tirait sur tout ce qui bouge. Ce serait d'ailleurs difficile de faire partie du décor avec un tempérament pareil...
Un sujet ne manque cependant jamais de le faire réagir instantanément, plus encore que la politique : les tulipes. Tout le monde a droit à son jardin secret, et les liliacées qui garnissent celui de Damian sont pour lui une affaire très sérieuse dont il n'aime pas que l'on se moque. Sous son abord austère et dénué d'humour, cet homme dont les possessions les plus précieuses sont une dizaine de bulbes et des flacons de couleurs primaires de chez Old Holland cache en effet quelques touches de sensibilité, qu'il laisse s'exprimer aussi loin que possible des regards indiscrets. Les aquarelles, cela passe encore ; mais les tulipes ? Damian ne peut pas nier que son attrait pour les fameuses fleurs est en partie dû à ses propres origines. Il a grandi à Leiden, ce qui n'est pas exactement au milieu des champs de tulipes, mais enfin il n'a pas manqué d'occasions de les voir dans son enfance. Cela dit, au lieu de planter des champs immenses, il se contente d'entretenir avec soin une dizaine de tulipes en pots, jamais plus de vingt, qu'il croise et hybride d'année en année, au point que les fleurs qui sortiront au printemps prochain des bulbes qu'il a plantés cet automne n'auront sans doute plus grand-chose à voir avec les tulipes botaniques qu'il a achetées il y a huit ans en quittant Leiden. Évidemment, avec les tulipes comme avec le reste, la rigueur est de mise. C'est d'ailleurs une chance pour Damian que Monsieur Bernard s'intéresse de près à la théorie de l'évolution, car il a pu grâce à lui parfaire ses connaissances en matière d'hybridation des plantes.
Parlons enfin un peu de Bernard Marie Sambre. On le dit fou, et il y a alors de quoi se demander pourquoi Damian sert un tel homme avec tant d'enthousiasme depuis déjà huit ans, lui qui manifeste de mille façons différentes son dégoût absolu pour le désordre sous toutes ses formes. C'est que sa folie – Damian l'a tout de suite compris – n'a rien à voir avec la démence erratique des pensionnaires d'asile. C'est une névrose qui a éclos le jour de sa naissance agitée sur les barricades de la Commune, et qui n'a ensuite cessé de se développer jusqu'à atteindre son état actuel. Et autant Damian n'a que dégoût et mépris envers la folie clinique, autant il est fasciné par la froide obsession qui ronge le cœur de Monsieur Bernard. Celui-ci l'a cependant bien fait comprendre : de même qu'il ne s'insinue pas dans le peu de vie artistique de son domestique – qu'il sait assez ordonné pour ne pas laisser son matériel exposé à la vue de tous –, il ne tolère pas que ce dernier cherche à se mêler d'une façon ou d'une autre de ce qui ne concerne que lui et sa folie, peu importe le nom qu'on lui donne.